Lorsqu’on écrit un roman, l’un des grands défis est de maintenir l’attention du lecteur. On veut qu’il ait cette envie irrépressible de lire « encore une page », quitte à veiller plus tard que prévu. Le cliffhanger est un outil puissant pour créer cet effet. Hérité des feuilletons du XIXe siècle, il est aujourd’hui encore un allié précieux pour tout romancier désireux de rythmer son récit et de pousser son lecteur à tourner les pages.
Un cliffhanger est une scène interrompue au moment le plus tendu, juste avant que l’intrigue ne livre une réponse attendue. Il place le lecteur dans une position d’attente volontaire : il veut savoir ce qui va se passer, mais il doit avancer dans le livre pour obtenir la résolution. Pour l’auteur, c’est une manière d’installer une dynamique narrative qui empêche la lassitude et crée un lien addictif entre chaque chapitre.
Un cliffhanger réussi ne repose pas sur un simple arrêt brutal du récit. Il doit être préparé et s’appuyer sur un enjeu clair. Cela peut être la révélation d’un secret, la survie d’un personnage ou une décision cruciale. La tension doit s’être construite en amont : si vous coupez sans avoir posé les bases, le lecteur percevra l’effet comme artificiel. L’arrêt doit intervenir au moment précis où l’attente est la plus forte, avec l’assurance implicite que la réponse viendra rapidement dans les pages suivantes.
Dans un roman, le cliffhanger peut prendre plusieurs formes. Vous pouvez interrompre une action en plein mouvement : une arme s’abat, une porte s’ouvre, un personnage tombe — et le chapitre s’achève là. Vous pouvez aussi choisir la révélation différée : un protagoniste s’apprête à dévoiler un secret ou une information clé, mais vous stoppez la scène avant qu’il parle. Une autre technique consiste à suspendre un dilemme : le héros doit faire un choix difficile et le lecteur reste en suspens quant à sa décision. Enfin, il existe le danger imminent : le personnage est sur le point de subir une menace directe, et l’interruption fait durer cette tension.
Le cliffhanger est séduisant, mais il peut aussi devenir contre-productif. L’un des pièges est d’en abuser : si chaque chapitre se termine ainsi, le lecteur finit par anticiper le procédé et l’effet s’émousse. Une autre erreur consiste à ne pas tenir la promesse : si la révélation est trop repoussée ou la résolution décevante, l’attente se transforme en frustration. Enfin, évitez les faux suspenses, par exemple un danger qui se révèle anodin : utilisé trop souvent, cela donne au lecteur le sentiment d’avoir été trompé.
Ainsi, dans un roman, le cliffhanger n’est pas une coupure brutale mais une promesse différée. Bien construit, il devient un moteur de narration, capable de transformer une simple scène en point de tension inoubliable. Maîtrisé avec justesse, il pousse le lecteur à tourner la page sans même s’en rendre compte — et c’est là, pour un auteur, l’une des plus grandes victoires.