L’une écrit dans le souffle du silence, l’autre crie à travers la rage. Marguerite Duras et Virginie Despentes appartiennent à deux générations que tout semble opposer. Pourtant, derrière les différences de style, de ton et d’époque, se dessine une même volonté : secouer l’ordre établi, dire l’indicible, faire voler en éclats les conventions littéraires comme sociales. Ces deux voix majeures de la littérature française n’ont jamais cherché à plaire. Elles ont préféré déranger, déraciner, dérégler. Et c’est peut-être là que réside leur plus puissante ressemblance.
Marguerite Duras ne ressemble à personne. Son écriture se dépouille au fil des années jusqu’à toucher à l’os. Les silences deviennent presque plus éloquents que les mots. Elle explore le désir, l’absence, la mémoire, en abolissant les frontières entre fiction, autobiographie et théâtre intérieur. Son style, longtemps moqué pour ses répétitions et ses hésitations, a fini par s’imposer comme un territoire littéraire à part entière.
Avec L’Amant, Hiroshima mon amour, Moderato cantabile, elle redéfinit ce que signifie raconter. Pas d’intrigue traditionnelle, pas de morale, pas de voix rassurante. À la place, un flottement, une tension continue, une musique à part. Duras ouvre une brèche dans la littérature classique : celle du non-dit, de la faille, de la parole brisée.
Virginie Despentes, à l’inverse, entre dans la littérature comme on entre en guerre. Dès Baise-moi, son premier roman, elle choque, scandalise, déroute. Mais derrière la violence, il y a une lucidité politique rare. Son écriture, directe, abrasive, ne s’excuse de rien. Elle parle de corps, de genre, de classe, de violences systémiques, sans jamais chercher l’élégance ni le consensus.
Avec Vernon Subutex, elle atteint une forme de reconnaissance institutionnelle, sans rien renier de sa colère. Elle devient une figure centrale du féminisme contemporain, à la fois radicale et inclusive, dénonçant les rapports de domination avec une clarté implacable. Son style, nerveux, syncopé, fait entendre la voix des laissés-pour-compte et des invisibles.
Duras et Despentes ne parlent pas la même langue, mais elles s’adressent toutes deux aux marges. L’une regarde les amours impossibles, l’alcool, la disparition. L’autre ausculte la société contemporaine, la sexualité, la révolte. Ce sont des écritures de la fracture, de la brûlure, du refus.
Ni l’une ni l’autre ne se sont pliées aux attentes de leur temps. Duras, longtemps marginalisée, finit par entrer dans les manuels scolaires. Despentes, après avoir été censurée, est aujourd’hui saluée comme une voix essentielle. Toutes deux ont fait de leur œuvre un lieu de résistance, une zone libre, un espace d’insubordination littéraire.
Si l’on cherche un fil qui relie Duras à Despentes, il se tisse peut-être dans cette volonté de ne pas édulcorer. Chez Duras, le silence dit ce que la société interdit d’exprimer. Chez Despentes, la parole brutale brise les tabous de front. Deux façons d’écrire contre. Deux manières de désobéir.
Leurs œuvres restent profondément personnelles, mais leurs répercussions sont collectives. Elles ont permis à d’autres femmes, et plus largement à d’autres voix dissidentes, de trouver une légitimité dans une littérature longtemps normée.
Marguerite Duras et Virginie Despentes incarnent chacune une révolution littéraire. L’une par l’épure et le trouble. L’autre par l’urgence et la rage. Elles rappellent que la littérature n’est pas un simple ornement, mais un acte. Un acte de langage, de prise de parole, de rupture. À travers leurs différences, elles ont en commun d’avoir transformé la façon d’écrire, de lire, de penser.